Dans la série « Rêveries sur ce que la vie nous apporte » par Bernadette Moussy, membre du Comité des (Pas) Sages
Il y en a assez d’être petits. Ou plutôt, les adultes pourraient ne pas oublier qu’on est la moitié d’eux. Les tables sont trop hautes, on ne voit pas ce qu’il y a dessus et on doit monter sur une chaise pour atteindre ce que l’on veut. Et là l’adulte nous en empêche. Alors que ça fait longtemps qu’on sait grimper sans tomber.
Et quand, dans la rue, on est entre deux adultes qui se racontent leurs histoires, ils nous oublient, se rapprochent car ce qu’ils disent est très important et on a pas de place. On ne voit plus rien, ils nous bouchent la vue. Il nous reste qu’ à regarder les saletés sur les trottoirs.
Alors que lorsque je suis sur les épaules de mon papa, j’ai un peu peur, mais je vois loin, mieux que tout le monde. Et puis il y a le vertige quand il me monte et me descend.
Quand on est dans la crèche, là, tout est à notre hauteur, les chaises, les tables, les jouets, les copains…les éducatrices s’assoient par terre quelquefois, ça c’est bien, on peut aller dans leurs bras. Elles chantent entre elles ou pour nous, nous balancent, certaines dansent même et moi aussi
Mais quelquefois c’est trop bruyant, on ne nous entend pas quand on veut dire quelque chose tout bas. Même quand c’est pour dire notre peine car on voudrait être à notre maison avec notre maman. Alors certains copains se mettent à crier. Parfois l’éducatrice nous crie de se taire mais souvent une vient nous prendre dans les bras, s’occupe de nous, nous console. Mais pourquoi il a fallu crier ?
Les adultes sont très occupés.
Un jour j’ai mordu un copain pour voir sa réaction. L’éducatrice n’était pas contente. Elle a crié là encore. J’ai cru qu’elle allait me mordre, il paraît que c’est interdit, même elle, ne peut pas. Alors elle m’a apporté un poupon pour que « j’occupe mes mains, comme ça tu ne feras plus de bêtises » a -telle dit. Alors j’ai mis le poupon dans ma bouche. Ce n’était pas pareil.
J’aime bien avant les repas, ça sent bon. Les adultes nous apprennent à reconnaître les odeurs. Pourquoi à ce moment il nous faut tout quitter vite pour passer à table ? J’aime bien la dame de la cuisine, elle a une grosse voix forte, mais je sais qu’elle nous aime bien. Elle sent fort aussi.
Pendant la sieste j’aime bien quand c’est l’éducatrice qui chante, je m’endors avant la fin. Que s’est-il passé quand je dormais ? Pourquoi on ne nous le raconte pas ? Peut-être que l’éducatrice a aussi dormi.
J’aime bien quand les mamans viennent nous chercher, je regarde bien et quand c’est « elle » alors je suis tellement ému que quelque fois j’ai envie de me sauver.
C’est trop, tout ce que je vis toute la journée sans ma maman. Le doudou ? c’est un machin d’adulte pour nous faire taire et pour remplacer…quoi ? Quelle tromperie..