Prendre le temps : la règle d’or des retrouvailles

Denis Mellier est psychologue en crèche depuis 40 ans. Il a observé et décrypté le moment crucial des retrouvailles entre le petit et son parent.

 

Depuis la porte, le tout-petit reconnaît sa maman. Il sourit. Mais tandis qu’elle s’approche de lui, alors qu’il est encore occupé avec son mobile, il sourit moins. C’est un peu rapide pour lui.

Réajustement sensoriel
Le tout-petit qui a passé la journée à la crèche ou chez l’assistante maternelle ne retrouve pas sa maman ou son papa au premier coup d’œil. Lorsque sa maman se présente à la porte, il la reconnaît. Mais il a besoin de beaucoup plus pour la retrouver et en même temps pour quitter la personne avec qui il a passé la journée. La vue ne suffit pas, tous ses sens doivent s’y retrouver. « Feuille après feuille » explique Denis Mellier, le tout-petit se détache de son enveloppe psychique pour se rapprocher d’une autre enveloppe. Après la vue, il retrouve l’odeur de sa maman, sa voix, son corps et enfin, son regard : « L’œil à œil vient en dernier » dit Denis Mellier.
Le tout-petit a passé la journée là, avec les professionnelles et les autres enfants. Il a emmagasiné des odeurs, des voix… Lorsque son parent arrive, il doit faire un va-et-vient entre cette maman ou ce papa qui se présente devant lui, et son expérience à la crèche. Pour l’enfant, deux mondes se superposent, « l’enfant tricote, une maille d’un côté, une maille de l’autre » explique Denis Mellier qui a souvent observé le regard des enfants faisant un va-et-vient entre le jouet, la professionnelle, et la maman.

Le regard perplexe
Le regard se pose vraiment sur le papa ou la maman une fois que les autres sens ont « retrouvé leurs esprits ». Avant cela, l’enfant lance souvent un œil interrogateur car « cette résistance à tout assimiler de suite est le signe d’un travail psychique de liaison » précise Denis Mellier. L’enfant est troublé, il sent un envahissement, cela se lit dans son regard. Françoise Dolto, à propos des mères qui se précipitaient pour embrasser leur enfant lors des retrouvailles, disait : « le temps des panthères arrive ».

En grandissant
L’enfant de 8-9 mois exprime lui ses émotions, il a acquis des moyens de communication plus sophistiqués. Il vit les retrouvailles autrement, en montrant ses émotions. Il pleure, se montre perplexe ou content. Ensuite, l’enfant développe sa motricité, il peut aller à la fenêtre faire un geste de la main, il peut aussi s’agripper au parent qui s’en va le matin. Puis, avec le langage, l’enfant dit papa, maman, il a ces mots en tête, il vit les retrouvailles avec plus de facilité puisqu’il sait tout de suite qui sont ces grands qui arrivent à la crèche.

Séparation et retrouvailles se jouent à trois
Au moment de la séparation, le tout-petit perd ses feuilles, selon la métaphore de Denis Mellier. Toujours dans les bras de papa maman, il lui faut du temps pour rencontrer la personne avec qui il va passer la journée. Le tissu ou le doudou de la maison sont là pour soutenir cette continuité sensorielle. Les photos aussi peuvent être utiles : des images de la maison, de la famille peuvent être à disposition du tout-petit. Et surtout, le temps aide l’enfant à tricoter le lien entre le passé et le présent.

« Le drame des parents pressés » reprend Denis Mellier, explique certains comportements comme un enfant qui mange peu, qui dort beaucoup ou pousse sans cesse les autres. Le « courant ne circule plus » entre les professionnels et les parents.
L’accueil est toujours un temps à trois. Si le parent entre dans la salle de jeu et y reste un moment, il laisse à l’enfant « le temps de se décoller, recoller, décoller, recoller » comme le dit Denis Mellier. Et le soir, la même scène se rejoue, dans l’autre sens, quitte parfois à faire attendre papa ou maman quand il est plus grand, c’est à lui maintenant de décider quand partir !

Pour s’y retrouver :
Le bébé, l’intime et l’étrange, Denis Mellier, éditions Érès, 1998.
L’inconscient à la crèche, Denis Mellier, éditions Érès, 2010.