En ville avec Matali Crasset

Designer française, Matali Crasset sollicite son âme d’enfant pour dessiner des structures destinées aux petits. Shanghai, Logrono, Paris… ont vu émerger des installations originales, colorées, qui poussent petits et grands vers l’exploration. Quelle est la vision de cette créatrice sur la ville d’aujourd’hui ?

Matali Crasset a l’habitude de remettre les codes en question. Avant de dessiner, elle se demande pourquoi des accoudoirs et si vraiment un canapé est encore un objet intéressant dans notre salon du 21ème siècle. Pour les enfants comme pour les adultes, elle commence par s’interroger : quel est le sens de cet objet ? Qu’apporte- t-il ? Une fois cette question clarifiée, elle imagine quelque chose qui n’existe pas. Comme, un ensemble de poufs qui pourront faire un canapé si on veut les assembler, une chaise pour enfant avec une case intégrée sous l’assise…

« Nous, designers, pouvons faire advenir le changement » dit-elle. En effet, ils ont ce rôle de remettre en question les codes et de donner naissance à des objets, meubles, structures d’aires de jeux etc. qui ont un sens dans notre vie d’aujourd’hui.

Et pour les enfants ?

Matali Crasset préfère être inclusive, faire pour tout le monde, petits et grands. L’émerveillement n’a pas d’âge, n’est-ce pas ? Pour revenir au canapé, la panoplie de poufs peut inciter les enfants à construire leur

canapé, un empilement ou un côte à côte… Chacun voit l’objet et en fait ce qu’il veut.

Ça tombe bien, parce que les enfants savent très bien exploiter un objet jusqu’à la corde, pourvu qu’il soit simple, riche en potentiel. Ce que Matali Crasset recherche précisément lorsqu’elle dessine une structure pour enfants : offrir une installation que les enfants s’approprieront, avec laquelle (ou sur laquelle) ils se montreront actifs, créatifs, et dont ils sauront repérer tout le potentiel.

Plus la structure offre de possibilités, plus les enfants l’investiront, et y trouveront un espace de plaisir. Car, « les enfants ne trichent pas, ils jouent ou ils ne jouent pas » : à la designer d’imaginer quelque chose de riche.

Matali Crasset essaye de susciter une panoplie d’émotions chez l’enfant, de provoquer les interactions, la motricité… Elle fait de ces espaces de jeu des lieux d’exploration infinie.

Citons « Dark sky », une structure évoquant la chouette et qui invite à regarder les étoiles. Ou encore « Sid et le monde de dessous » au centre Pompidou de Shanghai, en Chine, où les enfants découvrent la vie sous terre, le cycle de l’eau etc.

La designer se plonge dans l’univers enfantin avec une exigence pédagogique sérieuse et originale.

La ville aujourd’hui ?

Matali Crasset a conçu des structures pour

les enfants, souvent installées dans des aires de jeux, des jardins. Elle a un esprit très critique sur ces espaces dédiés aux enfants. Doivent-ils absolument être moches ? Tous les mêmes ?

Elle propose des lieux plus ouverts sur le reste de la ville et surtout des constructions qui promettent une variété de possibilités de jeux. Elle évoque une pratique en vogue dans les années 1970, lorsque l’on exploitait une friche, mettant à disposition des parents et des enfants des matériaux brutes de récupération. L’aire de jeu d’alors était le fruit de l’imagination de chacun, y compris les parents. Artistes, urbanistes, architectes etc. étaient aussi sollicités pour proposer des espaces étonnants, suscitant la curiosité et l’envie.

Nous sommes aujourd’hui paralysés par les normes, « les villes se sont asséchées » dit la designer. A cela s’ajoute l’état d’esprit des parents d’aujourd’hui, qui selon elle ont de plus en plus peur pour leurs enfants, évitant tout risque et empêchant les enfants d’éprouver leurs limites.

Matali Crasset travaille dans de nombreux pays et peut comparer la France à l’Espagne par exemple. Elle a conçu une pente sur laquelle les enfants prennent des risques, s’amusent à mettre leur équilibre à l’épreuve. Projet inconcevable en France, selon elle.

Découvrir www.matalicrasset.com