Dans la série « Rêveries sur ce que la vie nous apporte » par Bernadette Moussy, membre du Comité des (Pas) Sages

Un plan vertical comme les parois de grottes ornées du Périgord. Des traces à toutes les hauteurs. Ce n’est pas un travail en commun, puisque chacun a fait son propre dessin.  Quoique…ils étaient là petits et grands pour créer, ensemble, à l’instigation du graphiste et de son collègue. Ils leur ont préparé cette grande surface de papier blanc, ainsi que de multiple crayons à la portée de tous. 

Alors maintenant je laisse mon  regard vagabonder. Je suis attirée par les petits enfants, ce sont les seuls qui se montrent. Ils sont bien vivants, on le voit à leurs positions . Une petite fille nous regarde, le crayon dans la bouche. Est-elle gênée par le photographe, dérangée par son intrusion, à moins que…tout simplement curieuse.

En fait je ne peux que faire des suppositions.

Les petits  en bas, c’est « main droite ou main gauche », le crayon plus agrippé que tenu comme il devront apprendre plus tard. Les traces sont soit tout en rondeur, soit des va et vient, qui expriment plus des trajets rapides qu’une promenade. C’est la vie, la dynamique interne des enfants que l’on découvre ici ! 

Et si c’étaient leur signature ? Ne voient-ils  pas les adultes signer ainsi, dans un  geste rapide. A moins que ce soit une approche de l’écriture, cette trace riche et sonore et qui porte un sens. Ils vont se l’approprier avec génie dans peu de temps.

Plus haut je suis tentée de parler de gribouillis dont la définition du dictionnaire est : dessin confus, (Du latin confusus, participe passé de confundere qui donne confondre.) sans forme reconnaissable, qui résulte du gribouillage.( (Familier : Écriture mal formée). Le Centre national de ressources textuelles et lexicales nous en donne une définition plus élaborée : « Hachures faites dans tous les sens. On remplit quelquefois les larges feuilles par une multitude de zigzags croisés et contrariés en tous sens; cela produit une sorte de mélange appelé gribouillis. Même Rabelais s’en était servi pour donner le nom d’un diable.» Toutes ces définitions sont péjoratives : nous n’aimons pas ne pas comprendre. Est-ce aussi confus pour les enfants ? Tant appliqués, tant concentrés. Encore un interprétation d’adulte qui ne peut interpréter le sens des traces enfantines. 

Dans le haut de la fresque les silhouettes se rapprochent plus de ce que je connais. C’est ici que l’écriture permet aux auteurs de présenter ce qu’ils ont dessiné : « papa, maman, moi, mon Papy »…

« La famille » est traditionnelle. Les enfants se cramponnent aux schéma de la famille ni mono, ni recomposée. Enfin, tout le monde a l’air content.

La silhouette à coté est un être humain qui ressemble à un gros insecte, à moins que l’auteur ait voulu l’effacer. Le trait serait presque agressif. L’auteur aurait-il un compte à régler avec ?

Enfin, j’aime bien celui de droite, Héloïse nous  présente son papy moustachu, dont les lunettes lui donnent un air sérieux. Elle nous fait rentrer dans une relation intime. C’est un don.

Tous ont les bras ouverts et nous accueillent, même si le décor est inexistant. Cela me gêne, ils sont tous « en l’air ». Une heureuse opportunité me laisse lire un paragraphe issu de l’ouvrage de Jean Philippe Pierron[1] : « On peut, par un processus de soustraction, vouloir se débarrasser de tous les liens, qui nous font être comme n’étant pas vraiment nous […] on peut à l’inverse, non plus par sous traction mais par intensification, vivre la portance de ces appartenances […] elles donnent de la constance et de l’épaisseur à ce soi que je suis ». Nous ne pouvons vivre sans décors, sans contexte, sans objets qui nous contiennent. 

Et pourtant si je pense aux grottes ornées, les animaux et les chasseurs ne sont pas contextualisés. Une fois de plus je constate que les enfants reproduisent des gestes ancestraux. 

Ou pas…ce n’est qu’une supposition de ma part.

A la dernière page, les auteurs qui sont des parents et frères et sœurs, ont enfin accompagné leurs personnages d’être vivants. Des soleils éclairent l’ensemble. Les personnages ont plus d’épaisseur, il y a des semblants de corps. Un papillon, une petite fleur et un hérisson apportent de la vie. Quant au grand rond avec ce que je crois des petits pieds qui est-ce ? 

Une Chloé nous présente sa famille. Elle se compose de deux enfants et d’un bébé dans le ventre de la maman. Un autre personnage aussi grand que les parents serait un oncle. Peu à peu se dévoile tout une vie familiale. 

Des petits cœurs se baladent, l’un d’eux tient compagnie à un petit personnage près du soleil. 

On peut imaginer de nombreux liens entre les différents éléments et qui évoquent « la portance » comme évoqué au-dessus.

De l’individualité à une amorce d’« être ensemble » ne serait-il pas le fil conducteur de cette impressionnante fresque?

Et moi qu’aurais-je dessiné ?


[1] Je est un nous, enquête philosophique sur nos interdépendances, avec le vivant, Actes sud, collection Mondes sauvages, 2021, page 33.

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