Laetitia Dorey est éducatrice de jeunes enfants. La crèche où elle travaille reste ouverte, elle y accueille des enfants de personnels de santé. Laetitia est membre du comité des (Pas) Sages, son expérience de terrain est unique et précieuse. 

Comme beaucoup d’entre vous, cette période de confinement a déclenché chez moi beaucoup de questions et d’inquiétudes. C’est une situation inédite, et anxiogène pour les adultes que nous sommes. Quand j’écoute les questions des parents qui m’entourent, mes propres interrogations, celles des professionnels que je côtoie, j’ai le sentiment que ce bouleversement dans nos habitudes suscite une sorte de stress, une pression à vouloir « bien faire », ou tout au moins à limiter la casse… Partout sur les réseaux sociaux je vois fleurir des « tuto », des « recettes », des idées d’activités à ne plus savoir qu’en faire… De témoignages en mise en scène, tout le monde essaie d’aider son prochain en partageant ses idées et son savoir-faire.

Voilà de quoi être peut-être un peu perdu pour certains d’entre nous, une angoisse de ne pas être à la hauteur. Et si moi je n’aime pas faire des activités ? Si je ne fais pas ce qu’il faut ? Et si moi ça m’arrange bien que mon enfant regarde la télé pendant que je travaille ? Et au-delà de ça, ce stress sur l’impact que pourrait bien avoir le confinement sur nos enfants désormais enfermés en huis clos, tributaires de l’imagination et du temps que l’on est en capacité de partager.

En me réalisant combien, dans la crèche où je travaille, les enfants ne réagissaient pas du tout comme je l’avais imaginé (ou craint !), je me suis rappelée que les enfants ne vivaient pas les choses comme les adultes. Alors que je perdais un temps précieux à déterminer à partir de mes propres peurs ce que chaque action pourrait bien provoquer pour eux, j’avais oublié qu’en me posant et en observant, le temps se ralentis, et révèle autant de détails que de surprises qui nous enrichissent mutuellement. Je pensais que des enfants n’ayant jamais fréquenté de crèche, ne connaissant ni les lieux, ni les professionnels, confrontés à des adultes inconnus munis de masques, auraient forcément du mal à s’acclimater. Que dire alors quand j’ai appris que les équipes de professionnels allaient changer tous les deux jours ! Quelle angoisse ! Et pourtant, depuis trois semaines, les enfants que je côtoie au multi-accueil passent des journées sereines et me donnent chaque fois que je suis de service une leçon précieuse : la clé, c’est parfois de cesser d’anticiper, de se poser, d’observer, et de s’adapter à ce qu’ils nous montrent d’eux. Les très jeunes enfants vivent l’instant présent, ils ne sont pas encore en capacité de se projeter au point de s’angoisser pour l’avenir, ni de déterminer intellectuellement si une situation est « normale » ou stressante. Ce sont souvent nos attitudes à nous qui servent de baromètre. Les enfants se nourrissent de ce que leur environnement leur fournit, et de ce que leur besoin impérieux de découverte leur commande. Et sur ce point, ils sont tout à fait capables de nous partager leurs besoins, pour peu que l’on soit disponible pour les écouter ou les observer. La recette ? C’est probablement eux qui vous la fourniront le mieux, bien mieux que les images sublimées d’Instagram. Cet évènement est nouveau pour nous, mais pour les jeunes enfants, chaque jour est une nouveauté, une découverte, ils ont tout un monde à conquérir ! Nous sommes probablement bien plus déstabilisés qu’ils ne le sont, et cette expérience inédite nous pousse à nous questionner et à revisiter nos habitudes. Le confinement m’apparait alors comme un étrange écho au thème annuel de la Semaine Nationale : « s’aventurer ! ». Avec l’équipe de la crèche, nous avons organisé bien avant le confinement un projet qui s’intitulait « et si on sortait dedans ? » et qui reprenait exactement ce constat que les enfants s’aventuraient sur des terrains qui, à nous adultes, pouvaient paraitre extrêmement banals et familiers, et que c’était en faisant la démarche de se mettre à leur hauteur, et de redécouvrir ce que nous ne regardons finalement même plus, que nous pouvions nous aussi nous aventurer avec eux.

Alors à la question : que faire avec nos enfants pendant le confinement ? Je répondrais d’abord de les observer, et de les accompagner dans ce qu’ils vous montrent comme intérêt. Si votre enfant semble en mouvement constamment, alors peut être qu’en aménageant votre salon vous lui permettrez d’essayer de nouvelles postures et de nouveaux points de vue. Si votre enfant vide votre placard de cuisine chaque fois que vous essayez de prendre 5 minutes pour terminer un courriel, peut-être qu’il serait intéressant d’aller voir quels ustensiles le fascinent tant et ce qu’ils peuvent lui apporter. Peut-être que ce superbe atelier pâtisserie filmé sur Youtube vous décourage rien qu’à l’idée de l’essayer, et peut être bien qu’il n’intéressera pas non plus votre enfant. Mais peut être que cet ordinateur derrière lequel vous êtes forcé de rester vissé et qui l’attire peut susciter des découvertes sensorielles inconnues ? Je me souviens que mon fils, quand il était petit, n’aimait rien tant qu’on lui mette à disposition un clavier, sur lequel il aimait entendre cliqueter les touches, et imiter son père qui travaillait. Qu’est ce qui produit le même son dans la maison ? Un paquet de coquillettes versé dans un bol pour patouiller? L’eau prise dans un récipient et qui coule goutte à goutte sur un plat en métal ? Et si ça fonctionnait ? Et si vous montriez à votre tour à d’autres ce jeu que vous avez inventé ?

Cette situation me fait penser aussi à un livre qui avait bousculé mes certitudes quand j’étais jeune maman, et qui s’intitule « le concept du continuum », par Suzan Forward. Dans cet ouvrage, l’auteure, journaliste partie étudier une tribu amazonienne, découvre avec beaucoup d’intérêt que dans le village, les enfants n’ont aucun aménagement spécifique en termes de sécurité. Ils ont accès aux outils, le puit n’est pas protégé… Elle explique également qu’ils partagent dès leur naissance tous les aspects de la vie sociale dans laquelle ils sont inclus. Ils sont beaucoup portés, observent chaque interaction et chaque action, et peuvent participer à toutes les tâches qui les intéressent. A la fin du livre, Suzan Forward conseillait d’ouvrir nos entreprises aux enfants, de permettre aux parents de porter leurs bébés au quotidien, jusque dans leur travail, insistant beaucoup sur l’aspect social des apprentissages. Je me dis qu’en plus de se mettre à la hauteur de nos enfants pendant ce temps de confinement pour observer ce qui les captive et les accompagner dans leurs découvertes, nous pouvons également les inviter à explorer notre monde, partager avec eux ce qui nous anime et qui nous passionne…

Page main shape