Par : Amelie Estienne

Séparation et retrouvailles sont des moments de transition qui peuvent s’avérer glissants. Dans le mot séparation, il y a l’idée de ne plus garder pour soi, chose périlleuse pour les jeunes parents. Dans retrouvailles, il y a une redécouverte mutuelle pas toujours facile à manœuvrer. Amélie Estienne, éducatrice de jeunes enfants, coordonnatrice de micro crèches du groupe « Les Chérubins », et formatrice, nous livre ses lumières.

Face aux parents inquiets

Il est important de rassurer les parents d’abord, car l’enfant sent l’angoisse de ses parents et en conclut qu’il doit l’être aussi. Il arrive même qu’un enfant pleure au moment de la séparation dans le seul but de rassurer ses parents : je pleure parce que je vous aime. Et les parents partis, il ne pleure plus.

Amélie a déjà vu des parents jubiler, inconsciemment bien sûr, devant les pleurs de leur tout-petit, pleurs qui prouvent tout l’amour que leur enfant a pour eux.

Comment les rassurer ? Notamment lorsqu’ils demandent : « Est-ce qu’il peut ne plus m’aimer parce que je le mets à la crèche, croire que je l’abandonne, m’en vouloir, est-ce qu’il peut me remplacer par une professionnelle ? »

Il arrive aussi que les parents se disent ravis mais que leur posture en dise long : dos courbé, bras serrés, pas en arrière à l’entente de « Gabriel va passer 6 heures avec nous ! »

La première étape consiste donc à écouter les parents, à les observer.

Amélie a quelques trucs pour adoucir séparation et retrouvailles.

La séparation a mauvaise presse alors qu’elle est positive, essentielle même car elle offre à l’enfant un espace physique et psychique nécessaire à sa construction identitaire et à son autonomie. Et cette mise à distance ne rompt pas le lien entre enfant et parent, il le renforce au contraire.

D’abord parce que le lien d’attachement se consolide le soir et le week-end et qu’il ne dépend pas du nombre d’heures passées avec le tout-petit mais de la qualité de la relation, de son intensité.

Un enfant ne substitue pas une professionnelle à sa maman : avec un cerveau centré sur le sensoriel, il reconnaît sa mère à son odeur principalement.

Autre conseil d’Amélie, inviter les parents à entrer dans la crèche, à se faire une idée. Leur expliquer le fonctionnement de la structure. Être à l’écoute des demandes spécifiques de chaque parent, comme : j’aimerais qu’il garde son rythme de sieste, qu’il goûte plus d’aliments, qu’il devienne enfin propre… Livrer leur petites angoisses aide les parents à prendre du recul et à s’en délester un peu.

Puis dans la journée, le professionnel et le parent peuvent rester en lien : une photo, une vidéo, une anecdote peuvent rassurer.

Et le parent qui se sent démuni peut être rassuré s’il se sent encore acteur. Pendant les transmissions par exemple, il est judicieux de raconter comment se comporte le tout-petit à la crèche, et de comparer avec ce qui se passe à la maison. Professionnel et parent échangent et peuvent ajuster leurs attitudes.

Quant aux retrouvailles, Amélie conseille aux parents de se libérer de leurs attentes, souvent assez précises. Dans la voiture vers la crèche, le papa s’imagine déjà les embrassades, le sourire etc. Et quelle déception lorsqu’il récolte un regard lointain ! Il est plus malin de ne rien attendre de précis et d’être ouvert à ce qui vient. C’est aussi une manière d’être là, disponible, ouvert à tout.

Une fois les parents rassurés, un bon bout de chemin a été parcouru…

Face aux tout-petits perplexes

Le tout-petit passe par différents stades. Avant 8 mois ou 1 an selon les enfants, il a peur de l’étranger, de la nouveauté, l’odeur maternelle le rassure, donc un tissu lui appartenant, ou une musique familière, un objet de la maison peuvent être utiles. Vers 5 mois il a peur de la disparition, car il a compris que l’adulte était différent de lui mais pas qu’une fois parti il allait revenir. Il y a diverses façons de le rassurer : le coucou-caché bien sûr, mais aussi un rituel au moment de la séparation et des retrouvailles, c’est une façon de matérialiser ces évènements et donc de les ancrer dans la mémoire du tout-petit. Et pendant la journée à la crèche, le portage psychique par les professionnels est important, un sourire, un regard réguliers permettent à l’enfant d’être rassuré sur sa propre existence.

Enfin, le tout-petit éprouve la peur de grandir. Car alors, ses parents ne seront plus là pour lui. C’est là qu’il régresse.

Amélie Estienne nous livre encore quelques conseils pour calmer ces peurs.

Tout d’abord, en étant pleinement disponible. Il est important que les professionnelles prennent le temps d’accueillir l’enfant, l’aident à découvrir ce qui l’attend, en lui présentant un copain, une musique qui lui donnent envie d’être là.

Comme pour les parents, il peut être bon de rendre l’enfant acteur du moment, en le laissant faire des allers-retours entre le hall d’entrée et la salle, entre le dedans et le dehors. C’est une façon de lui offrir un temps d’acceptation.

Quelquefois les transitions sont difficiles, entre le jeu et le repas, entre la sieste et le jeu… Car ce sont comme des micro séparations, qui rappellent la séparation du matin. Dans ces moments en creux, l’enfant se trouve dans un vide qui lui fait revivre la difficile arrivée à la crèche. La professionnel peut l’aider en lui expliquant ce qui va suivre.

Pour les retrouvailles, le tout-petit a aussi besoin d’un temps d’acceptation. Le parent a eu le temps de se conditionner aux retrouvailles, sur le chemin il les a imaginées. L’enfant lui est occupé à jouer ou à rêvasser, il n’est peut-être pas prêt. Laissons-lui le temps de se préparer, un temps de transition douce pendant lequel il passe, à son rythme, de la crèche au parent.

D’autant plus que les retrouvailles peuvent lui rappeler la difficile séparation du matin…

Par ailleurs, dans le tête-à-tête parent professionnel, le tout-petit peut se sentir oublié. Intégrer l’enfant dans les transmissions, notamment par le regard, peut être une façon de le rendre acteur de cet échange et de lui rendre le moment plus agréable. Dans ce tricotage à trois, le tout-petit a besoin de faire des va-et-vient entre la professionnel et son parent. Il lui faut donc du temps ! Quand les parents sont pressés, pas disponibles, le tout-petit ne vit pas de vraies retrouvailles, il les saute en quelques sortes, elles restent à faire et se font quelquefois plus tard, à la maison, une fois les tâches ménagères finies…

Amélie Estienne conclut : ne pas fuir séparation et retrouvailles qui sont des étapes positives, importantes, mais plutôt les préparer, leur laisser le temps de se faire en douceur, les vivre pleinement, pour ce qu’elles sont.

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