Chanter, un cadeau
Chanteur ou pas, nous chantons tous avec nos enfants. C’est naturel de chanter avec un tout-petit. Ceci dit, il y a plusieurs façons de pousser la chansonnette. Olivier Gilly, formateur à l’association Pikler-Loczy, auprès des éducateurs de jeunes enfants, et Michèle Célarié, thérapeute et pédagogue, nous donnent quelques clés.
À deux, pas trop vite, et pas n’importe quelle chanson
Pour offrir un moment spécial au tout-petit, Olivier Gilly préfère le face à face. L’enfant se nourrit de cet instant partagé davantage que lorsqu’il est un parmi d’autres. Quand on chante à plusieurs avec des petits enfants, il est difficile d’identifier ce qui se passe. Les voix se mélangent, l’enfant lui-même ne s’entend pas. Le brouhaha fatigue. La musique peut même être vécue comme une intrusion, si elle dure trop longtemps et si elle est trop pleine (de voix).
Michèle Célarié explique que chanter pour un tout-petit est un mode de communication, en chantant on est en relation avec l’enfant. La voix chantée est différente de la voix parlée, elle apporte des modulations qui surprennent l’enfant, qui le captivent.Cette femme d’expérience insiste sur la relation à deux, sur l’intime qui se jouent dans le chant. Elle ajoute que « l’accrochage du regard » est très important, l’enfant reçoit cette attention particulière, ce cadeau qu’on lui fait si le regard est bien posé sur lui.
Chanter peut se faire à un moment spécial de la journée. De manière régulière, les adultes peuvent dédier une heure précise aux chansons. Ainsi, les enfants s’y préparent, et voient arriver le moment avec appétit. Les chansons peuvent être chantées dans un ordre précis, le même chaque jour, afin que les enfants les retiennent et aient du plaisir à les retrouver.
Michèle Célarié répète qu’il est important de chanter souvent les mêmes chansons, de ne pas multiplier les chansons. D’ailleurs les enfants qui reconnaissent une chanson ont une petite réaction corporelle lorsqu’il l’entende : un regard, un geste de la main, un mouvement. C’est pour eux un bon moment. C’est pourquoi, on chante pour un enfant et non pour un groupe, car sinon comment les regarder vraiment tous… De même, une seule voix chante pour le tout-petit, sinon il ne suit plus la mélodie.
L’enfant peut aussi demander qu’on lui chante une chanson. Dans certaines structures, il donne une carte spéciale à un professionnel qui sait que le tout-petit souhaite entendre une chanson. Cette demande est aussi celle d’un petit moment privilégié…
Summum de la relation à deux, les berceuses sont chantées, murmurées, dans un moment où parents et enfants s’accordent. Le parent qui fredonne une berceuse se met au diapason de son petit.
Michèle Célarié emploie l’expression « jeux de nourrices » pour désigner ces chansons que l’on chante en tenant le petit sur ses genoux et en jouant avec ses doigts. Le corps de l’enfant participe. De même, la comptine est une relation à deux, on fait des gestes, on se touche. Elle convient donc aux enfants de deux ans minimum, qui ont avancé dans leur développement psychomoteur. Lorsque l’enfant peut s’asseoir tout seul, il peut participer avec son corps, on peut alors lui proposer une comptine qui sollicite son corps.
Par exemple, on peut lui chanter les marionnettes, il commencera à imiter les gestes de l’adulte, il a l’âge pour participer.
Tout comme la voix qui parle à un enfant a intérêt à ne pas courir, celle qui chante devrait aller tranquillement, laisser des silences dans lesquels l’enfant peut recevoir la chanson, et visiter plutôt les aigus, auxquels l’enfant y est plus réceptif.
Olivier Gilly dispense des formations à l’association Pickler-Loczy, dont la pédagogie travaille beaucoup sur la voix. La voix peut créer une enveloppe autour du bébé, à condition qu’elle soit en accord avec ce que le tout-petit peut entendre, écouter et apprécier. Les comptines ne sont pas toutes bonnes à être chantées pour les tout-petits. Les plus grivoises et surtout les plus cruelles peuvent être mises de côté quelques années.
Transmission et nuit des temps
Nous avons tous des berceuses et des chansons en tête, que la présence d’un tout-petit nous fait ressortir de nos mémoires. Dans toutes les langues, les parents chantent pour leurs enfants. Chanter vient naturellement. Nous chantons les chansons que nos parents nous ont chantées. Les chansons jouent un rôle important dans la transmission d’une culture, d’une appartenance familiale.
Un outil de travail
Pour Olivier Gilly, la voix est un formidable outil de travail pour les professionnels de la petite enfance. Ceux qui ne sont pas à l’aise, qui pensent ne pas savoir chanter, peuvent suivre quelques cours de chant. Ce que propose la formation dispensée par Olivier Gilly, qui reconnaît volontiers que chanter est une façon de « livrer de l’intime ». Il est bon de trouver du plaisir à chanter, ne serait-ce que pour retransmettre ce plaisir. Lorsque des professionnels chantent ensemble, explique le pédagogue, ils s’écoutent. Le moment est donc fédérateur.
Puis lorsqu’ils chanteront avec les enfants, ils seront en mesure de les rencontrer autrement. En chantant, ils livrent une part d’intime, ils s ‘accordent, ils sont ensemble avec un supplément d’âme.
Lorsque l’on chante, l’affect est toujours fort. Pour certains enfants, l’émotion peut être trop importante, trop diffuse, le tout-petit n’arrive pas à identifier d’où vient ce trop-plein et il pleure. De même, certaines sonorités trop graves, comme celle du saxophone peuvent provoquer un ébranlement difficile à supporter pour un tout-petit.
Les musiques enregistrées ne permettent pas de construire cette relation à deux, il n’y a pas de regard sur l’enfant, la succession des chansons et sa multiplicité les rendent inaudibles, voire gênantes.
Michèle Célarié a longtemps été psychomotricienne dans des CMPP (centre médico psycho pédagogique) où elle aidait des enfants en difficulté. Elle utilisait beaucoup sa voix pour expliquer les choses, elle parlait sans se précipiter, répétait et surtout regardait l’enfant. Elle les accompagnait par la voix. Cette femme est convaincue de l’importance des chansons pour le développement psychomoteur des enfants. A condition de bannir les paroles en l’air…
En chantant avec un tout-petit, on lui offre des mots qui ont été choisis, de la poésie, des rimes. Du beau. Chanter apporte du partage, de l’écoute, du plaisir, des émotions, du vocabulaire, du rythme, chanter nourrit la joie de vivre. Ça serait bête d’en priver les enfants.