Plein air, le bonheur
En Scandinavie, au Maroc, en Italie, en Espagne, en Angleterre… de nombreux lieux d’accueil de la petite enfance bénéficient d’un espace extérieur pour les enfants. En France, il n’existe que cinq haltes-garderies plein air et une semi plein air. Pourquoi ? Pour Valérie Roy, spécialiste du sujet, « les bénéfices sont pourtant immédiats ».
Puéricultrice, formatrice, créatrice du concept de l’Itinérance Ludique, Laurence Rameau a publié en 2012 Les incroyables aventures des bébés. Elle y explique l’intérêt inné de l’enfant pour l’aventure et la nécessité de ces expériences personnelles.
S’aventurer, pour le bébé, signifie tout simplement vivre ?
Pour le bébé, s’aventurer est naturel. Si l’enfant va bien, il s’aventure dans la vie. On vit des aventures à tout âge, mais le petit encore plus, car il ne connaît rien. Tout est nouveau, c’est l’âge des premières fois.
Je crois que l’aventure est innée, la soif de rencontrer l’inconnu. Mais à condition d’avoir un socle d’attachement sécurisé. Le bébé est dépendant, il doit être sûr que les adultes s’occuperont de lui avant de se lancer dans l’inconnu. Sans cette figure d’attachement, l’enfant ne s’aventure pas, ou se met en danger.
Et l’aventure est par nature risquée, une sécurisation trop importante serait étouffante. Il faut trouver un équilibre entre sécurité et aventure.
Y a-t-il une chronologie dans l’aventure des bébés ?
La première aventure du bébé est sensorielle. L’enfant, contrairement à nous, sollicite tous ses sens en même temps. Les bébés inventent le monde au fur et à mesure de leurs perceptions sensorielles. C’est leur manière d’apprendre le monde.
Vient ensuite l’aventure de la motricité, avec un bébé initiateur de ses mouvements, rempli de son désir de bouger. Puis l’aventure de la relation, avec les parents et les professionnels de la petite enfance.
Mais c’est sans doute dans les jeux que les bébés vivent les plus extraordinaires aventures.
En quoi le jeu est-il l’aventure par excellence ?
Oui, le jeu dans lequel l’enfant s’engouffre complètement, prêt à tester le monde autant qu’à le modeler à sa guise. Par le jeu, le bébé explore son environnement, fait des essais, recherche des liens de cause à effet, recommence, fait des hypothèses. Le jeu doit être libre et sans objectif.
C’est pourquoi il faut proposer aux bébés des univers ni trop lisses, ni trop fades, ni trop sécuritaires, mais plutôt des espaces avec des cachettes, des trous, des niveaux différents, des portes, des tiroirs…
Lorsqu’il s’amuse, le bébé apprend, tandis que lorsqu’il fait ce qu’on lui demande, comme une activité avec des gommettes, il n’apprend pas. En jouant, le bébé improvise sans arrêt. Lorsque le jeu n’est pas dirigé, il mobilise l’imagination du bébé, sa créativité.
Les bébés voient aussi le monde comme ils l’imaginent : en plus de le voir tel qu’il est, ils en imaginent plusieurs autres. Par leurs aventures, ils découvrent le monde mais tentent aussi de le réinventer.
Le bébé s’aventure avec tout son corps…
Pour apprendre, le bébé a besoin d’agir. Il s’investit avec tout son corps. Il a besoin de vivre les événements, de participer, d’explorer les possibles.
Par exemple, lorsqu’il vocalise, c’est pour entendre sa voix, il s’exerce. Il essaie sa voix, écoute les sons, les mots, les reproduit…
La liberté de mouvement apporte aux bébés assurance et jouissance. Il faut se garder d’intervenir sur la motricité des bébés. En sécurisant trop leurs déplacements, nous les bloquons alors qu’ils seraient plus assurés dans des mouvements libres, testés par eux.
Car toutes les acquisitions de base dans la compréhension du monde se font autant par son esprit que par son corps.
Vous dites que l’enfant nous éduque…
Être parent est aussi une aventure. Conscients qu’ils ne savent rien de leurs bébés, les parents d’aujourd’hui vont quelquefois chercher des réponses, des recettes sur Internet ou dans des magazines, au lieu de simplement regarder leur enfant.
En l’observant, on le comprend et on gagne de la confiance en soi. Si on prend le temps de le regarder, le bébé nous dévoile qui il est. C’est lui qui nous montre comment l’accompagner.
Je répète souvent aux professionnels la chance qu’ils ont de côtoyer les bébés, car c’est une porte ouverte sur l’univers, c’est-à-dire sur l’ensemble des possibles.
Que dire aux adultes débordés par les aventures des bébés ?
Souvent les adultes sont démunis devant ce qu’ils appellent des bêtises, qui sont des tentatives, quelquefois répétées, des bébés, comme lorsque leur bébé vide les tiroirs, ouvre les robinets…
Les adultes parlent de bêtise mais il s’agit d’exploration. Si les parents ou les professionnels font l’effort de suivre cette exploration, d’aller vers le bébé, s’ils s’intéressent à ce que fait réellement le bébé, ils voient, ils comprennent et, au lieu de se fâcher, ils adaptent les lieux à ces expériences de leur bébé.
Bien sûr, pour favoriser ces recherches des bébés, il faudrait des lieux adaptés, afin de limiter non pas les risques mais les conséquences négatives.
Au quotidien, je remarque que les professionnels ont souvent du mal à mettre des mots sur ce que font vraiment les bébés. Mon prochain livre essayera d’aider parents et professionnels à décrypter ce que fait un bébé lorsqu’il jette un objet ou regarde couler l’eau du robinet…
Ouvrages cités :
Projet et accompagnement éducatif en crèche, écrit en collaboration avec Fanny Covelli et Claire Trocmez, éd. Dunod, 2019.
Les incroyables aventures des bébés, éd. Duval, 2012.