Thierry Paquot, « Lâchez vos enfants »

Cet homme, philosophe de l’urbain, dit tout simplement que la ville peut être un lieu d’exploration pour les enfants. Le chemin à parcourir passe par un changement de regard des adultes, à commencer par les parents, et par quelques transformations de nos villes du 21ème siècle.

Historiquement, les enfants grandissaient aux côtés des grands : aide, manutentionnaire, messager… L’enfant participait à la vie des adultes. Il était une personne entière, simplement un peu petite encore. Cela a changé lorsque l’école est devenue obligatoire. Les enfants ne pouvaient apprendre ailleurs qu’à l’école, pensait-on. La vie désormais s’apprendrait assis sur une chaise et de telle heure à telle heure.

Le petit (qui avant parcourait les rues la journée durant) devenait un enfant (un petit à instruire car il ne savait rien). Il y a du bon là-dedans, permettre aux petits hommes d’apprendre. Mais l’école les infantilisait, dit Thierry Paquot.

Au lieu d’apprendre seul, éprouvant par lui-même les choses, au lieu de s’aventurer là où sa curiosité le menait, l’enfant apprenait ce qu’on jugeait utile pour lui.

Il y a bien eu les pédagogies dites « nouvelles » (Patrick Geddes, Maria Montessori, Célestin Freinet, A.S. Neill…), mais qui sont restées marginales : « les adultes n’aiment pas que les enfants leur échappent » explique le philosophe.

Avec les années 1970-80, l’enfant arrête d’aller seul à l’école, ou avec ses frères et sœurs. Et même souvent, il y va dans l’auto familiale ! Il n’est presque plus jamais seul ou entre copains. Il reste sous la surveillance des adultes. Infantilisé, il ne se sent plus capable de prendre des initiatives, il se croit contraint d’obéir.

Le chemin de l’école, en effet, a complètement changé de visage. L’école ayant pris une telle importance, devenue le lieu de l’apprentissage par excellence, tout ce qui gravite autour perd de son intérêt, comme le voyage qui y mène depuis la maison. « On ne traîne pas ! » ironise monsieur Paquot, alors qu’on pourrait apprendre tellement de choses sur le chemin, à commencer par s’égarer… Mais non, on apprend quand la cloche de l’école sonne !

Les terrains vagues d’autrefois aussi ne sont plus fréquentés par les enfants. Les parents leur préfèrent une occupation digne de ce nom, enfermé dans une école, un gymnase, un conservatoire. Alors que les enfants pourraient s’ennuyer dehors tranquillement.

Thierry Paquot vante le mérite de ces terrains vagues. Vagues justement, dans lesquels tout est possible. Car, dans ces lieux à

l’usage indéterminé, les enfants sont en contact avec les 4 éléments, qui ont en eux une contradiction : l’eau désaltère mais aussi inonde, le feu réchauffe mais aussi brûle etc. Autrement dit, par leur manipulation les enfants apprennent la dialectique du monde. Là encore, les années 1980 sont fatales pour les terrains vagues : terminés ! Ces lieux non contrôlés sont dangereux. Dans notre société rationnelle et fonctionnelle, on n’aime pas les lieux qui ne sont pas affectés à une activité précise.

En supprimant les espaces sans fonction précise, où les enfants peuvent inventer, on les dépossède de leur spontanéité et de leur propre conscience du danger. Les cours de récré sont des défouloirs, tristes et violents, car c’est le seul endroit où on laisse aux enfants la liberté, surveillée quand même, de s’exprimer et à leur corps de s’ébattre.

Bref, « l’enfant chercheur d’hors, hors de lui, hors de sa famille est à retrouver » conclut le philosophe. Et les parents sont une partie du problème.

Certains aménagements des villes aideraient également, comme des trottoirs plus larges où les grands accepteraient la présence des enfants, où un banc public pourrait devenir une station spatiale sous le regard ému des adultes. Il est évident qu’un muret, un banc ou une cour d’immeuble sont plus riches qu’un square avec un toboggan jaune qui se termine sur un sol caoutchouteux. Thierry Paquot verrait bien une ville valorisant le jeu, où le chemin vers l’école serait semé de marelles géantes. Allez, hop, à l’école !

Pays de l’enfance, Thierry Paquot, Les éditions Terre Urbaine, 2022.