
Quand neurosciences rime avec Petite Enfance, interview avec Grégoire Borst
Les chercheurs en neurosciences nous aident à mieux comprendre la façon dont fonctionne le cerveau des tout-petits et nous éclaire sur les conditions nécessaires à l’épanouissement des futures générations d’adultes.
Grégoire Borst : Grégoire Borst est professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation (Université Paris Cité) et directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ – CNRS).
Les neurosciences nous rappellent un élément fondamental : l’environnement de l’enfant doit être propice à son développement cognitif et socio-émotionnel. Les premières années de la vie représentent une phase durant laquelle se créent plusieurs centaines de milliers de connexions entre les neurones sur des échelles de temps très courtes, de l’ordre de quelques minutes. Ce cerveau, particulièrement plastique, offre des opportunités d’apprentissage colossales chez les jeunes enfants, et dans le même temps, pousse à la vigilance, car un environnement non-optimal aura des conséquences sur la croissance du jeune cerveau. Et il ne s’agit pas simplement d’un l’impact à un âge donné, mais aussi de répercussions sur la trajectoire globale du développement cérébral.
Il est important de garder en tête que nous avons devant nous des enfants ayant déjà accès à une pensée extrêmement complexe. Nous sommes face à des petits scientifiques, des petits psychologues ou encore des petits mathématiciens dans le berceau. Un des risques, pour les professionnels, est de se focaliser uniquement sur les aspects liés à la motricité ou aux émotions et de, peut-être, ne pas suffisamment mettre l’accent sur les aspects plus cognitifs. Les jeunes enfants sont déjà capables d’avoir des raisonnements abstraits et une compréhension fine de principes physiques régissant le déplacement des objets dans l’environnement. Ils ont aussi des attentes concernant les additions et les soustractions et sont en mesure de reconnaître des comportements sociaux entre les individus. J’encourage les adultes à nourrir une forme d’exigence vis à vis d’eux- mêmes afin d’offrir aux enfants suffisamment d’espace pour qu’ils développent leurs compétences cognitives.
Levier de compensation des inégalités
Comprendre l’émergence des inégalités passe, bien évidemment, par la dimension sociologique, mais également par la dimension biologique. Être davantage exposé à du stress chronique, grandir dans un environnement moins propice au sommeil de qualité… Tout cela impacte, dès quelques mois, les systèmes engagés dans les capacités langagières de l’enfant, dans la régulation de leurs émotions, l’apprentissage des règles et leur mémorisation. Il existe donc un véritable enjeu pour les professionnels de la petite enfance, à construire, dans le cadre qui est le leur, un environnement riche du point de vue cognitif et stable du point de vue émotionnel. Il s’agit d’un levier puissant de compensation des inégalités dues au milieu social d’origine.
Le cerveau continue toutefois à se développer plus de quinze ans après l’entrée à l’école. Certes, il faut être vigilant sur la petite enfance et offrir le meilleur environnement possible à l’enfant, mais il reste encore une longue période au cours de laquelle il est possible d’agir. Je pense notamment à l’adolescence, où la plasticité cérébrale est là aussi particulièrement importante.
Parler, parler, parler et encore parler
Nous observons très tôt des différences entre les enfants dans l’apprentissage du langage oral. Or, les inégalités langagières sont à l’origine de beaucoup d’autres inégalités. Il est essentiel de beaucoup parler au tout-petit et dans un lexique et une syntaxe suffisamment complexes et diversifiés.
Souvent, nous simplifions notre langue et sommes tentés d’adopter un « parler bébé ». Il est évidemment nécessaire d’accentuer la prosodie (musique) du langage, c’est une façon d’attirer l’attention de l’enfant comme quand nous pointons du doigt les objets que nous nommons. En revanche, il est important de garder une syntaxe et un vocabulaire riche. Rappelons que chaque enfant se développe à son propre rythme, avec sa propre trajectoire de développement et d’apprentissages. Si ces trajectoires varient d’un enfant à un autre, elles reposent sur des mécanismes similaires chez tous les enfants. Il est donc toujours important de recontextualiser le développement du jeune enfant en fonction du contexte dans lequel il grandit. De fait, le milieu social d’origine a des effets importants sur les décalages observés dans l’acquisition de certaines compétences. Il est nécessaire de ne pas être trop normatif dans ses jugements, en se disant par exemple : « A cet âge-là, il ou elle devrait déjà savoir faire ça ». Chaque apprentissage ne se succède pas dans un ordre immuable. Au contraire, le développement de l’enfant est quelque chose de tarabiscoté et biscornu.
Autorégulation des émotions
La psychologie et les neurosciences mettent en lumière l’importance de la gestion (régulation) des émotions et de la maîtrise de soi dans le développement de l’enfant. Ce sont des compétences chez le jeune enfant qui prédisent en partie leur épanouissement futur, une fois adulte, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle. Il y a donc un enjeu à développer ce type de compétences chez eux. C’est ce que font déjà les professionnels de la petite enfance : la routine par exemple est une façon d’étayer ces mécanismes de régulation chez l’enfant. En sachant que l’ordre des activités est fixé de manière systématique, l’enfant a plus de facilités à passer de l’une à l’autre. Il est sécurisé affectivement et régule la frustration qu’il pourrait ressentir quand une activité qui lui plait se termine. A l’entrée en maternelle, ces processus sont travaillés de manière moins systématique. L’accent est mis sur le volet cognitif alors même que nos études, et d’autres, montrent qu’enseigner très explicitement comment fonctionne le cerveau, les stratégies efficaces d’apprentissage, et le développement de l’autorégulation, sont des clés pour accompagner tous les enfants dans leurs apprentissages.
Il n’y a pas d’un côté les apprentissages cognitifs et de l’autre les apprentissages émotionnels. Quand nous apprenons, nous ressentons des émotions, et quand nous ressentons des émotions, il s’agit aussi d’une forme d’apprentissage. Nous apprenons à ressentir, à reconnaître les émotions, à les identifier chez les autres. Tout cela fait partie de systèmes interconnectés dans le cerveau humain.