Quand une maman mange, son bébé en prend de la graine. Benoist Schaal
« Ce que les mamans ingèrent influence la croissance somatique de leur enfant et leur dispositions sensorielles, leurs préférences post-natales et peut-être leur personnalité » déclare Benoist Schaal, directeur de recherche au CNRS, responsable d’une équipe d’éthologie et de psychologie au Centre des Sciences du Goût à Dijon.
Le goût donc, et avec, l’ouverture d’esprit. L’enjeu vaut la peine qu’on se penche sur la question de l’interaction entre l’alimentation de la mère et le goût du petit.
Quelques explications
Tout d’abord, rappelons que par goût, il faut comprendre deux choses. Le goût sensoriel, celui qui appréhende les aliments avec la bouche, le nez et même les viscères (car l’intestin par la gustation apprécie tel ou tel aliment de manière différente) et le goût qui décrit les préférences, les attentes, ou au contraire les rejets.
Les saveurs sont perçues par le système gustatif bien sûr, mais aussi par le système olfactif (les odeurs perçues avant l’ingestion mais aussi pendant la dégustation !) et par la perception trigéminale qui détecte et prévient de ce qui est irritant, agressif et donc potentiellement toxique et dangereux.
Les trois perceptions réunies forment la flaveur, le goût dans toute sa richesse. Le bruit et l’apparence d’un aliment jouent aussi sur son goût : les yeux bandés, une chips bleue aura le même goût qu’une chips dorée, mais les yeux ouverts, elle n’évoquera pas le même goût.
Chez le fœtus
Benoist Schaal l’explique : dès les 2-3 derniers mois de gestation, toutes les voies sensorielles fonctionnent. Dans le liquide amniotique, l’enfant teste tout, il avale et inhale, stimulant ses récepteurs olfactifs et gustatifs. Il semble même que l’olfaction fonctionne mieux en milieu aqueux qu’aérien : comme neuf, le système sensoriel du fœtus et du nouveau-né, qui n’a pas été abîmé par l’environnement est ultra-sensible.
Et surtout, le fœtus mémorise. Des études ont été menées au Centre des Sciences du Goût à Dijon, démontrant qu’un nouveau-né qui a connu un aliment dans le ventre de sa maman reconnaît l’odeur isolée qu’on lui représente et manifeste une appétence pour cet aliment.
Quand maman passe à table
Encore au stade fœtal, lorsque maman mange, le petit est au centre de multiples stimulations. D’abord, l’intestin gargouille, l’enfant fœtal le perçoit, se conditionne et réagit. Il a alors des mouvements d’inhalations, de respiration qui font bouger le liquide amniotique dans ses narines, et des mouvements de déglutition. Il montre même des mimiques faciales…
Avec la récurrence des repas maternels, il a un entraînement très régulier et mémorise les habitudes de sa mère.
Chez le nouveau-né
Lorsque la maman a mangé des aliments forts, camembert, poireaux par exemple, le nouveau-né les accepte mieux : il y a une continuité, une persistance des impressions de flaveur de l’alimentation maternelle perçue en tant que fœtus et plus tard, chez le nouveau-né et l’enfant.
D’ailleurs, nous apprend Benoist Schaal, il y a une période, au moins pendant les toutes premières tétées, où on trouve une similarité chimique entre le colostrum et le liquide amniotique. Ainsi, dans la surprise sensorielle qui suit la naissance, où pour le nouveau-né, tout est nouveau, notamment ce qu’il appréhende par la vision et le toucher, il y a au moins cette relative continuité du goût.
Et puis, le lait de la tétée diffère selon la nourriture de la maman, il n’a pas le même goût après une blanquette ou un sorbet au citron. La palette alimentaire des mères n’étant pas infinie, les enfants sont exposés à une certaine régularité des flaveurs et élaborent des préférences pour celles qui reviennent fréquemment.
En même temps, les enfants montrent des préférences et des aversions que l’on considère comme innées. C’est le cas de la saveur sucrée ou amère, la première évoquant une appétence inconditionnelle alors que la seconde tend à provoquer le rejet.
La conjugaison des préférences de la mère (qui conditionnent les flaveurs auxquelles elle expose l’enfant) et des préférences innées et de celles qui dérivent des apprentissages poussent l’enfant à adopter un régime qui lui convient et qu’il tend à imposer à sa mère.
L’alimentation de la maman joue donc sur les préférences du petit. La variété de l’alimentation maternelle l’expose à d’infimes doses de nouveauté, qui pourront ensuite faciliter l’acceptation des flaveurs nouvelles au moment de la diversification. Peut-être même l’expérience précoce de la nouveauté des odeurs et des flaveurs alimentaires reçues in utero et par le lait pourraient influer sur le développement d’un esprit aventurier et tolérant, contribuant à forger une personnalité plus ouverte ?
Lire :
L’enfant face aux aliments, PUF, dans la revue Enfance 2008