Friedrich Froebel, le pédagogue jardinier
Cet homme né à la fin du siècle des Lumières et qui inventa le terme de Jardin d’enfants passa sa vie à chercher le bon système d’éducation pour les enfants. Il fonde sa pédagogie sur une philosophie des contraires, dialectique de l’unité et de la diversité, une idée à la fois originale et imprégnée des idées de son temps.
Il reste tant de lui aujourd’hui dans la pratique des professionnels comme de certains parents que son parcours et ses idées méritent un éclairage. En plus des textes, il a fallu quelques entretiens avec Véronique Fanfant pour percer une part de sa pensée complexe.
Il naît en 1782 en Prusse, entouré d’un père et de deux grands frères. Solitaire, il trouve refuge dans la nature. De Christophe, l’un de ses frères, vient sa première révélation : « Il me fit observer que la différence des sexes existait aussi chez les fleurs ». La vie de la nature devient aux yeux du penseur un miroir de l’existence humaine.
À la même époque, l’oncle de Froebel, pasteur, propose de se charger de l’éducation du jeune homme qui se retrouve alors plongé dans un univers de bienveillance où il s’émancipe dans la nature. Apprenti chez un forestier, souvent livré à lui-même, il collectionne les plantes, avale des ouvrages de botanique et de géométrie. Nature et mathématiques, déjà liées dans son esprit, sont pour lui les principes fondateurs d’une harmonie essentielle.
Fasciné par cette nature, en particulier par le cycle de la nature qui assure son renouvellement, il étudie les sciences naturelles et la botanique.
Cette nature en effet lui inspire une vision du monde, celle d’une unité du monde. C’est justement l’époque où Napoléon menace son pays, avec son armée mais surtout avec l’étendard de la laïcité donc de la séparation de l’église et de l’État. Fröbel, d’ailleurs engagé en 1813 comme soldat, refuse que l’on sépare les choses. Pour lui, tout est relié. L’unité du monde ne doit pas être niée au profit d’une séparation des choses.
Froebel cherche à comprendre l’homme qu’il considère à l’image de la nature. Ainsi, à la manière des philosophes des Lumières élaborant l’Encyclopédie, il s’intéresse à toutes les sciences qui peuvent l’éclairer sur l’homme. Il étudie les langues anciennes, la théologie, la minéralogie, les mathématiques, l’astronomie, la physique, la chimie, la médecine…
Pestalozzi…
Nouveau virage dans la vie de Froebel, à l’âge de 23 ans, il devient instituteur dans une école-modèle à Francfort, école qui applique le système de Pestalozzi. Encore une révélation. « J’étais né pour cela » écrit-il à son frère Christophe.
Johan Heinrich Pestalozzi né en 1746 à Zurich en Suisse, influencé par les idées nouvelles et notamment par les écrits contemporains de Jean-Jacques Rousseau, dirigea un institut pédagogique à Yverdon en 1805. Devenu une sorte de laboratoire pédagogique, l’endroit attirait de nombreux penseurs (et même Mme de Staël et Benjamin Constant…)
Au programme, des exercices de lecture, d’écriture, des moments ludiques, des promenades et stages chez les artisans. Le travail manuel alternait avec les exercices intellectuels. Pestalozzi entendait les maîtres régulièrement mais aussi les élèves, fondant l’éducation sur le dialogue et la tolérance.
Froebel se rend à Yverdon pour assister aux leçons données à l’institut pestalozzien, et s’entretenir avec Pestalozzi lui-même. Devenu précepteur des trois fils d’un riche propriétaire, il s’installe avec eux à Yverdon et profite pendant deux ans de la fréquentation enrichissante du pédagogue.
Froebel est toutefois contrarié. Selon lui, les maîtres font des idées des Pestalozzi quelque chose de didactique. Fröbel se demande alors comment élaborer des réflexions sur l’éducation des enfants sans pour autant les appliquer comme un dogme, sans mécaniser ce qui se vit par l’enfant grâce à la découverte et au plaisir.
Car, le plus important selon lui, est de partir de ce que fait l’enfant au présent, de décrire son action au présent, décrire ce que l’enfant perçoit par les sens, puis de s’interroger pour savoir comment servir le petit dans ce qu’il entreprend ici et maintenant, et l’amener à s’étonner, désirer, agir par lui-même.
Les symboles
Peu à peu, Froebel acquière des convictions philosophiques qui seront le fondement de son système d’éducation : l’idée de l’unité de l’univers, d’un lien organique unissant toutes choses s’enracine en lui. Dès lors, la sphère devient le symbole de cette unité supérieure et une manifestation de la loi divine. Le symbolisme des formes géométriques commence à germer en lui.
Le symbole en effet est le propre de l’homme, à la différence de l’animal. La sphère, comme la Terre, est mathématiquement constituée d’un pôle + et d’un pôle – autrement dit de contraires, tout en formant une unité. Homme et femme sont également contraires tout en abritant en leur centre l’énergie pour créer un enfant.
Observant les enfants, Froebel voit qu’ils s’intéressent aux parties d’un tout (comme les pétales d’une pâquerette par exemple), qu’ils ont besoin de distinguer les choses.
La quête de l’homme serait-elle, se demande-t-il, de distinguer chaque chose (mer, ciel, objets…) C’est ainsi qu’il s’intéresse à la philosophie esthétique qui est la possibilité d’agencer l’espace d’une manière à ce qu’on distingue chaque chose. Et Fröbel s’intéresse à l’aménagement de l’espace.
Constatant que les enfants cherchent à distinguer les choses, qui sont les parties d’un tout, afin de choisir telle ou telle chose à regarder, à manipuler, Fröbel réfléchit à la question de l’agencement des choses. Symbole et aménagement de l’espace mènent Fröbel à concevoir un matériel pédagogique qui fournisse aux enfants une représentation de l’unité du monde.
Les architectes de son temps suivaient sa pensée de près, curieux de trouver en lui des idées aussi originales. Plus tard, le célèbre architecte Le Corbusier, qui enfant passera des années dans une école froebelienne, sera inspiré par la philosophie du Froebel.
Lorsque son frère meurt, sa belle-sœur fait appel à lui pour l’éducation de ses deux fils. C’est une providence ! En 1816, il créé à Keilhan, l’Institut général allemand d’éducation dont ses neveux, cinq en tout, sont les premiers élèves.
C’est au cours d’un promenade bucolique que Froebel trouve le nom de Jardin d’enfants pour son école. Car l’enfant est une graine, et les maîtres des jardiniers.
On y applique les idées de Pestalozzi : le maître provoque le libre développement de l’individualité de chaque élève, l’invitant à l’action et à la création personnelle.
Dans l’institut, on mène une vie similaires à celle des paysans voisins. Les exercices physiques prennent une grande partie de la journée des élèves. Là encore dans le but non pas de faire acquérir des connaissances, mais d’encourager l’initiative personnelle, de provoquer l’essor de ses facultés.
Froebel monte une sorte de showroom, pour lequel il fabrique lui-même le matériel. Il invite baronnes, comtesses, parents, à s’y former. Ainsi, on y apprend à utiliser le matériel, à être attentifs à ce que fait l’enfant.
Il souhaite apprendre à l’enfant à mettre les choses en relation les unes avec les autres, librement, comme il l’entend, selon un ordre correspondant à sa sensibilité. Dans cette mise en relation des choses, l’enfant est libre de ses choix. Il construit sa propre conscience de lui-même.
Froebel l’érudit inspire aujourd’hui de nombreux penseurs et permet de comprendre que de nouveau, on essaye de retrouver une unité, là où depuis des siècles on s’est évertué à tout séparer.
Encadré :
« Le jeu n’est pas une chose frivole pour l’enfant mais une chose de profonde signification »
Le jeu est considéré comme l’étape la plus importante du développement de l’enfant. Les formes géométriques symbolisent les lois du monde physique et moral. Ces abstractions font deviner aux enfants qui les contemplent et les manipulent l’organisation du monde.
Froebel créé des jeux, conçus pour développer les facultés élémentaires de l’enfant. Il cherche à provoquer une exploration manuelle de solides, de surfaces, de lignes, de points… Grâce à leur manipulation, les enfants explorent les principes du mouvement, des mathématiques, de la transformation.
Présentons aux enfants la sphère et le cube, deux formes qui s’opposent et se complètent : la balle symbolise le mouvement, le changement, la diversité tandis que la cube représente le repos, l’équilibre. L’enfant évalue les différences et les similitudes.
Dans sa manipulation, la balle demande en plus concentration et habileté.
Froebel organise la manipulation des jeux, ainsi avec sa boîte de construction (une boîte fermée contenant des cubes qui, rangés les uns sur les autres, ont l’air de n’en faire qu’un), l’enfant doit à la fois combiner les différentes parties du jeu pour les réunir en un tout et effectuer une transformation de l’ensemble. Autrement dit, partir de ce que sont les jeux pour en créer d’autres.
L’esprit de suite, la persévérance se trouvent encouragés.
D’autres jeux comme les lattes ou papiers entrelacés permettent de produire des formes artistiques et d’aborder, sans le savoir, les fractions.
Les jeux gymnastiques sont aussi importants, tout comme les chansons, la mise en scène d’évènements de la vie de tous les jours, tout cela favorisant l’observation et l’imitation. On cultive aussi son jardin, en respectant celui des autres, en apprenant la patience et en ayant l’intuition que la culture d’une plante est le miroir de son propre croissance.
La jardinière (l’éducatrice de jeunes enfants de l’époque) joue le rôle capital d’observateur car elle assiste au jeu libre de l’enfant où celui-ci s’exprime sans contrainte. Elle accompagne, guide, montre et encourage.