Décryptage du thème de l’édition 2025 de la Semaine Nationale de la Petite Enfance, par Laetitia Dorey, EJE – Directrice adjointe EAJE – formatrice – référent handicap

Jeudi 23 mai je rejoins l’assemblée réunie pour choisir le thème des girafes Awards 2025, après un périple parisien exténuant qui me fait arriver près d’une heure en retard ! Juste à temps pour entendre la fin de la présentation de notre présidente Véronique Fanfant et ses consignes de travail. Par groupe de 5 personnes, nous nous interrogeons collectivement sur nos expériences vécues à l’occasion desquelles un enfant, sans l’usage de la parole, a réussi à nous apprendre quelque chose.

Travaillant en crèche quotidiennement au contact des très jeunes enfants, je ne manque pas de situations à évoquer. Des différentes expériences relatées par les uns et les autres, quelques similitudes se dessinent : l’émerveillement, la simplicité, l’échange, prendre le temps, « regarde-bien », mais aussi l’action, le mouvement : « poussez-vous ! », la répétition : « faire, défaire et refaire ». « Croquer la vie à pleine dent » est évoqué et repris longuement par l’assemblée.

Quelqu’un exprime « encore ! » et tout comme il y a 2 ans quand le mot « pop » avait été prononcé, un silence s’ensuit durant lequel le mot prend forme d’images et d’expériences dans nos têtes. Très vite après, le débat fuse, animé, véhément, inspirant ! Notre thème est trouvé, et s’il agite l’assemblée, nous espérons qu’il agitera les débats entre parents, professionnels et enfants qui participeront à la prochaine édition.

« Encore ! » Un mot, un point d’exclamation, et tant d’envies, tant d’émotions révélées !

Encore est un mot qui s’adresse à l’autre, une injonction à recommencer, à revivre une expérience enrichissante qui a été proposée et appréciée. C’est LE mot des tout-petits ! Il est rare qu’un adulte s’exclame « encore ! » en tapant dans les mains et en sautillant d’un plaisir anticipé. Généralement, le « encore ! » de l’adulte est empreint de lassitude ou de désapprobation. Ou alors d’un besoin avide d’obtenir sans délai un objet de plaisir consumériste. C’est en tout cas ce que nos débats passionnés ont relevé.

Travaillant avec des tout-petits, ce mot fait partie des premiers que j’entends prononcés et même des premiers mots signés. Pratiquant la langue des signes avec les bébés, je visualise le petit doigt pointé au creux de la main potelée pour entendre à nouveau la chanson que j’ai déjà 4 fois chantée, avec des bébés qui sont encore loin d’être en capacité de parler.

Lorsqu’qu’un enfant me dit « encore ! » il formule plus qu’une demande. Il indique ce que l’adulte lui propose répond à son besoin de découverte, d’exploration, et de répétition. Il valide ma posture, il renforce ce lien que nous tissons l’un et l’autre quand je m’efforce de l’accompagner. Si je suis lassée d’avoir relu dix fois la même histoire, je lui propose « d’accord, mais c’est à ton tour de raconter ! Moi j’en ai un peu assez… »

Car entre l’adulte et l’enfant, le « encore » n’est pas du tout lié aux mêmes propriétés. L’adulte associe le besoin de recommencer à la sensation de plaisir éprouvé. L’enfant, lui, l’associe à un besoin impérieux de recommencer et de nourrir son incroyable foisonnement de synapses, dans un cerveau tellement différent de celui des adultes qui ne le comprennent du coup pas toujours. En effet, avant ses trois ans, le cerveau de l’enfant enregistre toutes les expériences vécues en créant de nouvelles connexion neuronales, à tel point qu’il lui faut ensuite les trier afin de ne conserver que celles qui ont été les plus fréquentes, les plus durables, et détruire les autres. C’est dire à quel point la répétition des expériences est cruciale pour comprendre les propriétés du monde et fixer dans sa mémoire toutes les séquences d’actions à utiliser par la suite. Ce fonctionnement est inédit dans la vie de l’être humain et ne se reproduira plus jamais par la suite.

C’est ce à quoi je m’efforce de penser quand je m’exclame « ça suffit ! » face à un groupe d’enfants qui tapent à qui mieux-mieux avec de petites boules en bois sur une table, dans un vacarme assourdissant, et qui n’ont aucune pitié pour mes tympans. Cela m’aide à réagir, soit en passant le relais à une personne moins sensible, ou bien en leur proposant une activité similaire avec un support qui créera moins de bruit. Cela me permet de ne pas me cantonner à leur demander seulement d’arrêter, car je sais que cette expérience est importante pour eux.

Quelques jours plus tard, à l’occasion d’une séance de baby gym parent-enfants, je décide de clôturer la séance avec une séquence d’éveil musical. Je sors une grande quantité de claves, sans idée précise de ce que les enfants vont pouvoir en faire, hormis ma crainte d’exposer à nouveau mes tympans à un bruit trop élevé. C’est mon seul critère : ne pas souffrir de cette activité ! C’est donc la seule orientation que je lui ai donnée, en proposant en premier lieu une seule clave au lieu de deux, le temps de la découverte de l’objet. Après avoir étudié ce curieux morceau de bois en tentant de souffler dessus, l’agiter, le taper avec la main, je m’étais résignée à leur fournir une seconde clave afin de les percuter ensemble et produire les sons pour lesquelles elles sont conçues. Mais rapidement, les enfants ont commencé spontanément à percuter leur clave sur la surface tapissée du praticable, produisant un son très audible mais doux, ressemblant au bruit de la pluie. Emerveillement immédiat, pour les enfants comme pour les adultes présents qui y ont tous trouvé leur compte. Durant cette petite séance, nous avons laissé les enfants nous guider en reproduisant les rythmes et les utilisations ingénieuses de ces claves : force et fréquence des battements sur le praticable, et puis des variantes surprenantes. Par exemple, un enfant a frappé sa clave sur celle de son voisin et tout le monde a tenté de l’imiter, produisant un exercice de coordination élaboré. Peu après, un parent a entonné une chanson, ponctuée par le rythme des claves sur le sol. Après cela, un enfant a fait rouler ses pieds sur sa clave et en l’imitant, nous avons découvert une sensation de massage très agréable, qui a été développée par d’autres en roulant le morceau de bois sur la jambe, le bras, le crâne, etc…

En créant cette séquence sans attentes, les enfants ont pu prendre le temps d’expérimenter, de répéter, de s’imiter, et d’innover. Un simple bout de bois, ma sensibilité personnelle au bruit, et non seulement les enfants ont réclamé « encore ! » mais les adultes présents pour animer ont souhaité recommencer eux aussi l’expérience avec d’autres groupes.

Cette année, le thème « encore ! » nous invite à vivre une expérience de lâcher-prise, durant laquelle nous laissons aux enfants le temps de la répétition, et l’émergence de la créativité.

En proposant une installation, du matériel, sans autre attente que celle d’observer leur réaction, vous pourrez vous laisser surprendre par les propositions des enfants. Dans un environnement propice à la créativité, les adultes peuvent se laisser aller eux-aussi au plaisir de l’expérience et de la découverte, et proposer des actions récompensées par les « encore ! » enthousiastes des enfants. Qui sait, l’inattendu pourrait bien provoquer chez les adultes aussi quelques « encore ! » surpris et joyeux…

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