Le respect, un grand mot pour les tout-petits : équité et responsabilisation
Depuis quelques années, on remarque en France que les relations sociales entre enfants ne cessent d’évoluer. Malheureusement, on observe de plus en plus, de gestes pulsionnels entre enfants (coup de pied, gifle, morsure…), que ce soit au sein de la fratrie, des établissements accueils jeunes enfants, ou des écoles. Amélie Estienne, EJE autour du monde, nous retrace ses observations et réflexions au fil de son voyage en Namibie, et décrypte pour nous la notion de respect à hauteur d’enfant.
Je suis heureuse de vous retrouver pour continuer ensemble notre réflexion autour de la notion de respect.
En effet, je suis toujours en immersion tout ce mois de septembre en Namibie dans un village (âge des enfants : 11 mois à 7 ans) et dans une école pré primaire à Walvis Bay (âge des enfants : 2 à 4 ans) pour tenter de répondre aux interrogations suivantes : Comment concrétiser la notion de respect aux yeux du jeune enfant ? Comment accompagner le tout-petit à avoir un comportement socialement acceptable vis-à-vis des autres (enfants, adultes) ?
Nous avons vu dans le précédent article deux facettes menant vers l’apprentissage du respect. Je vais vous en partager ici deux nouvelles facettes : l’équitabilité et la responsabilisation.
L’équité
« The Fair » qui veut dire en anglais l’équitabilité, joue un rôle important dans la posture respectueuse. Il s’agit d’un principe de juste distribution. Ce sont des expériences où « l’autre » est forcément à prendre en compte pour un partage équitable. L’idée ici va être de faire remarquer à l’enfant, soit par le jeu soit lors d’un moment de vie, une inégalité dans un premier temps. Puis dans un second temps, de réfléchir avec l’enfant pour trouver une solution équitable.
Une parenthèse ici, gardons en tête que plus tôt l’enfant vivra des expériences autour de l’équitabilité et plus tôt il sera en mesure de prendre en compte « l’autre » de manière autonome. C’est pourquoi cet article ne mentionne très peu, voir pas du tout, d’âge.
Voici quelques exemples concrets des propositions faites aux enfants que j’ai pu observer :
- Proposer lors d’une activité dessin un nombre de feuille inférieur au nombre de participants. L’idéal est de penser un nombre facilement divisible (ex : 4 enfants > 2 feuilles). Pour les plus jeunes nous pouvons bien-sûr adapté l’expérience car la division serait trop complexe. Nous lui montrerons d’abord l’inégalité, puis dans un second temps nous l’aiderons à trouver la solution (en lui montrant par exemple le paquet de feuille restant plus loin et lui permettre de se déplacer pour aller en chercher un nombre suffisant pour les apporter aux autres enfants qui n’en auraient pas.).
- Proposer un temps de lecture pour 2 personnes (1 adulte et 1 enfant) avec 1 seul coussin pour s’assoir dessus ; et un deuxième coussin un peu plus loin dans l’espace mais visible. Dans un premier temps nous pouvons simplement observer ce que l’enfant fait. Va-t-il le prendre pour lui ? Va-t-il vous le donner ? Va-t-il ne rien faire avec un air questionnant ? Selon sa réaction vous adapterez votre réponse. L’idée en tout cas est de l’amener dans votre questionnement en faisant remarquer qu’il y a seulement un coussin pour deux personnes à l’enfant et réfléchir ensemble en cherchant une solution. Selon le niveau d’expérimentation de l’enfant, vous lui laisserez un maximum d’autonomie !
Dans cet exemple, vous serez peut être en face d’un enfant qui vous donnera le coussin spontanément. Cette situation montre que l’enfant veut vous faire plaisir, très mignon en soit ! Mais attention c’est aussi le signe qu’il peut faire des choix au détriment de son confort personnel. C’est donc aussi l’occasion de lui montrer que son confort et son besoin personnel sont importants et ne sont pas à négliger !
Se soucier de l’autre oui, mais sans s’oublier, problématique parfois de certains adultes qui auraient peut être manqué d’expérimentation dans leur enfance …
Vous pouvez aussi faire participer l’enfant lors de la préparation d’une activité où l’objectif sera l’équité : placer des récipients vides devant lui et commencer à placer un caillou (assez gros pour la sécurité) dans chacun des contenants. Poursuivez avec un deuxième caillou dans chacun, et le laisser poursuivre la préparation ! Pour rappel les enfants adorent se sentir utile, alors les missionner de préparer l’activité du jour, quelle joie !
Les moments spontanés dans la journée sont aussi de formidables opportunités pour le parent ou le professionnel d’aborder cette notion d’équitabilité avec l’enfant.
Petite anecdote personnelle à partager avec vous sur l’équitabilité … Mes jumeaux de 10 mois se trouvent tous les deux côte à côte à jouer, allonger au sol. C’est l’heure du goûter (ils ont l’habitude de manger en même temps). Je ramène une compote et la donne à ma fille, mon fils réagit de suite en faisant la moue. Ma fille voyant son frère en demande, me regarde à son tour d’un air questionnant. Je la regarde de la même façon. Elle prend quelques secondes de réflexion et rampe aussitôt jusqu’au placard pour chercher une seconde compote, la donne à son frère ! Ma fille, à ce moment là, a été actrice dans cette expérience d’équitabilité.
Nous voyons dans tous ces exemples que l’aménagement de l’espace est aussi important pour permettre ces expériences. Il faut en effet toujours bien penser à une solution apparente et accessible à l’enfant. Et rappelons que plus l’enfant fera des expériences équitables au quotidien, plus cette pratique lui semblera « normale ». N’est-ce pas super pour ces adultes en devenir ?
La responsabilisation
Autre notion éducative, menant au respect. Selon le Robert, c’est « le fait de rendre responsable quelqu’un, de le rendre acteur des décisions, acteur du quotidien. »
Vous vous demandez peut être « Mais en quoi la responsabilisation amènerait l’enfant a être respecteux ? ». Tout simplement qui dit responsabilisation, dit tâche accomplie au service de son environnement ou de « l’autre ». En d’autres termes en étant acteur dans son quotidien, l’enfant rend des services, ce qui forge son respect pour son environnement ou pour « l’autre ».
En outre, je fais un parallèle entre le fait d’être responsabilisé et l’un des besoins de la pyramide de Maslow qui est le besoin d’accomplissement de soi (se réaliser en étant acteur). La responsabilisation est clairement un outil pour trouver un sens à ce que l’on fait, pour exister et s’accomplir.
L’enfant a donc BESOIN d’être responsabilisé pour trouver un sens, pour être satisfait. Je vous partage ici une histoire vécue en Namibie au sein d’un village : une maman observe que sa fille 4 ans s’est faite « chiper » son bâton de bois par son frère, celle-ci fronce les sourcils, ne semble pas apprécier, finalement elle ira de suite chercher un autre bâton pour le donner à son frère et récupérer le sien, tout ceci sans agressivité. Voyant cela, la mère s’approche de sa fille, la félicite et lui donne une mission-récompense : pouvoir aller chercher de l’eau au puit pour sa famille. Je vous laisse par cette photo évaluer son niveau de satisfaction lié à cette responsabilité …
Bon rassurez vous, vous n’êtes pas obligé de créer un forage pour trouver des idées de responsabilisation !! L’idée, vous l’avez compris, vis-à-vis de l’enfant, sera donc de lui trouver des missions responsabilisantes tout au long de sa journée… .
Voici quelques exemples concrets pour les enfants les moins expérimentés : permettre à l’enfant au moment du repas de prendre son bavoir pour s’installer, de prendre sa couche au moment du change, de préparer son sac pour partir (doudou,tétine…).
Voici quelques exemples pour les enfants les plus expérimentés : proposer à l’enfant de se servir de l’eau à table, lui demander de nettoyer la table après une activité, lui proposer de laver son tee-shirt sali, laver la vitre avec la raclette qu’il a gentillement lécher auparavant, effacer sa création au mur qu’il croyait être une bonne idée …
Je vous partage cette photo ou vous pouvez voir comment les professionnels ont pensé l’espace activité, car en effet des accessoires, comme la poubelle pour la mission du rangement, sont nécessaires.
En outre, le besoin de réalisation de soi ne sera assouvi que si l’enfant fait suffisamment d’expériences, et on le sait nous, adultes, sommes souvent happés par le quotidien et nous en oublions de saisir les opportunités, notamment lorsque nous travaillons en structure avec plusieurs enfants… Pourquoi pas alors, fixer sur une semaine une responsabilité pour chaque enfant qui reviendrait tous les jours : responsable nettoyage de table après les activités et après les repas, responsable rangement, responsable installation de la table pour les repas, responsable du rangement des courses… . Un tableau avec le nom de l’enfant et la responsabilité peut être conçu pour visualiser le roulement et peut être visible pour les plus grands, histoire de développer leur autonomie ! Ce tableau est aussi un outil vous permettant en structure de garantir la satisfaction de ce besoin pour TOUS les enfants. Pour l’avoir vu, cela peut être proposé dès 2 ans !
Par ailleurs, il faut que les responsabilisations restent des propositions et non quelque chose d’imposé… .Mais nous pouvons parier que vous n’aurez que très peu de refus !
En définitive, l’équitabilité et la responsabilisation sont deux notions à expérimenter dès le plus jeune âge, en adaptant les propositions pour chaque enfant. C’est à nous, adulte, de penser et d’aménager l’environnement pour rendre ces expériences possibles et le plus régulièrement possible. L’enfant qui a la possibilité quotidiennement d’expérimenter l’équitabilité, la responsabilisation, le souci d’autrui et l’esprit de citoyenneté sera plus à même rapidement d’être dans le respect de « l’autre ». Pour garantir cette régularité d’expérience, à vous de voir si des outils vous semblent nécessaires (tableau, liste, affiche…).
Sur ce, je vous laisse poursuivre de nouvelles expériences et de nouveau aménagements !