L’enfant enchanté
À propos de musique dans la vie des bébés, nous avons échangé avec Philippe Bouteloup. Il a souvent joué de la musique avec les tout-petits et beaucoup écrit sur le sujet.
Grâce à lui, nous avons déniché de la musique un peu partout dans la vie des bébés. Écoutez.
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L’enfant naît… en plein concert
Le bébé en a déjà entendu de belles dans le ventre de sa mère : en guise de prélude, 45 décibels gravitent autour de lui, faisant résonner les divers gargouillis de sa maman, mais aussi les voix du dehors, surtout les fréquences basses comme la voix de son père qui passent mieux à travers le liquide amniotique.
Une fois dehors, ça se poursuit avec ce que Philippe Bouteloup appelle « l’opéra familial » où parents, grands- parents, frères et sœurs, voisins et amis viennent disperser autour du berceau vocalises, onomatopées et autres formes de « parlé bébé » si particulier.
Tout le monde parle chanté pour le bébé, car chacun a sans réfléchir l’intuition que c’est ainsi qu’il faut faire : le timbre de voix élevé, une montée de la voix en fin de phrase alors qu’il n’y a aucune interrogation à la clé, une courbe mélodique pleine de variations, des séquences chuchotées, une accentuation amplifiée et un rythme de parole ralenti. C’est ainsi que Marie- France Castarède décrit le « babytalk » classique. Un vrai concert !
Partout dans le monde, les parents parlent à leur bébé en sachant qu’il ne comprend pas mais en ayant l’intuition que cette musique les mènera à la compréhension. Àcôtédecet«opérafamilial»,ilya ce que Roland Barthe appelait « la symphonie domestique » : les bruits du quotidien, porte, parquet, cafetière, eau du robinet, séchoir à cheveu, ou comme
chantait Boris Vian, un frigidaire, un bel aérateur, une armoire à cuillères, un repasse limaces, un ratatine ordure etc. Là-dedans, le bébé a ses repères. C’est son territoire qui est ainsi délimité par le bruit de l’ascenseur et du volet roulant. Dans cette bulle, le petit se sent protégé.
C’est aussi dans une enveloppe qu’il se love lorsqu’il chantonne tout seul. En effet, voilà le grand solo : le bébé babille ! Jusqu’à 7 mois environ, il babille pour sentir les vibrations de son corps. Gencives, abdomen, larynx, diaphragme… vibrent et lui procurent du plaisir.
Après 7 mois, grâce à ce qui s’appelle le contrôle audio phonique, l’enfant contrôle sa voix car il l’entend, il joue maintenant avec sa voix, il s’entend et s’amuse avec ça.
Dans ce solo, il jubile si on lui donne la réplique car alors cela veut dire qu’on l’écoute, que ce qu’il fait est important, qu’il peut continuer et même progresser. Bientôt Carmen !
Avec sa mère, le bébé est pris dans ce que Daniel Stern appelle un « accordage affectif ». Ensemble, ils s’accordent pour avoir le plaisir d’être ensemble, ils suivent une même intention.
La musique qui naît de cet accordage est harmonieuse. On lit chez Philippe Bouteloup : « À l’occasion de ces échanges vocaux mère-enfant, nous pouvons effectivement parler de musicalité. Les ajustements réciproques, l’utilisation de formes mélodiques, de nuances, de silences,
de différents rythmes et dynamiques vocales ne font aucun doute sur la créativité de ces premiers échanges. »
Jeu et musique
Philippe Bouteloup est musicien. « Je joue de la guitare » dit-il. Un musicien joue. Ça tombe bien, c’est comme les bébés !
Un bébé appréhende la musique comme la pâte à modeler : par le jeu. Il joue avec les sons, il les aligne, les gonfle, les étire, les répète. Il joue avec les sons comme avec l’eau qu’il transvase ou les boîtes qu’il empile. En les manipulant, en les comparant.
« L’enfant explore la matière sonore sans souci de forme, de vocabulaire et surtout de résultat » écrit Philippe Bouteloup. De même, l’enfant détourne les objets pour en faire des objets sonores, il « recherche le son aussi bien vocal que provenant des objets qui l’entourent. »
Avec un jeu, ou avec un bâton de pluie, le tout-petit commence par les sens : il regarde le bâton de pluie, il le goûte, l’écoute… Puis, avec le jeu comme avec le bâton de pluie, il passe au symbolique : il joue à la maman ou à l’abordage. Enfin, avec l’un comme avec l’autre, il joue en respectant des règles : il fait une partie de chat et il se met à jouer des notes et à chanter avec un copain.
Voilà : jeu et musique, même tintouin !
Partager la musique, à la crèche et à l’hôpital
La Voix des Girafes | 15
De la théorie
Puisque la musique peut être un partenaire exceptionnel du déve- loppement de l’enfant, mettons du son, du rythme, des chansons là où l’enfant grandit ! Dans les structures d’accueil de la petite enfance et dans les hôpitaux.
Philippe Bouteloup écrit : « la musique fait appel à toutes nos facultés. Tout d’abord notre motricité et le développement du schéma corporel, que ce soit dans l’utilisation d’un instrument de musique ou, de manière plus fine, dans des jeux de doigts ou de vocalises. C’est aussi la discrimination auditive, le rapport au langage et au vocabulaire, comme par exemple la chanson. C’est également la notion de temps et d’espace, l’écoute de soi, de l’autre, de son environnement. »
Steve Waring chante
« Monsieur Waring, tout de même, vous exagérez ! » dit un jour la maîtresse au musicien américain venu chanter Le matou revient.
« C’est pas moi, c’est la tradition ! » répond Steve Waring.
Car le fermier qui veut se débarrasser de son « vieux gros chat gris », tout comme les grenouilles qui parlent « le langage des gens », sont inspirés de chansons traditionnelles américaines que le musicien a adapté. Avec génie. Steve est né en Pennsylvanie aux États-Unis, avant de franchir l’océan pour s’installer en France, en 1965. Il est donc plein de ces airs de folk, de blues, et des chansons traditionnelles de là-bas.
Or la tradition aborde les sujets les plus graves, avec cruauté quelquefois, un humour grinçant parfois. « Les enfants aiment avoir peur » explique Steve Waring. Et oui, les contes peuvent faire peur, du moment qu’ils rassurent finalement. C’est ainsi que Le matou revient amuse les enfants. Même lorsque « l’enfant s’est noyé » ou qu’une « pluie de petits morceaux d’homme commencent à tomber… »
Et puis, ajoute le musicien qui fait entendre son accent américain même dans son rire, les enfants comprennent
Depuis plus de 30 ans, il joue de la musique dans les hôpitaux. Là où l’enfant est coupé de sa famille, notamment en néonatologie, le musicien peut aider à tisser des liens. Il chante avec le bébé, ouvrant une porte, incitant le parent à l’imiter et à être en relation avec son enfant.
Les musiciens introduisent de l’imaginaire, encouragent la créativité au sein de l’hôpital, et facilitent la communication.
Lorsque les musiciens animent un atelier à la crèche, ils font avec les bébés. Ensemble, ils manipulent des objets, chantent. Et puisque le musicien apporte des instruments pour provoquer le plaisir de jouer avec les sons, « il est important de choisir des instruments qui donnent envie de trouver de nouvelles sonorités, comme
très bien les paroles « si on chante bien ». Et là, évidemment, ce monsieur- là sait de quoi il parle. Quand il chante, il miaule, il broute, il croasse.
Il explique qu’il a pu chanter une heure avec des enfants dans une crèche « parce que je suis musicien ! Ça passe avec les bébés. »
Passionné par les sons, il n’a pas que la guitare comme corde à son arc, mais aussi le banjo, la guimbarde, les percussions corporelles, le saxo et même la vielle à roue.
« Les bébés sont très bon public si on varie les sons, les rythmes ! » D’ailleurs, même avec un portique de phonolites, composé de lauzes d’Auvergne, autrement dit de pierre plates qui sonnent fort et clair, les bébés écoutaient calmement. Steve Waring était impressionné de les voir écouter si attentivement.
Que dit sa fille de cet exploit ?
Alice Waring joue
Alice Waring joue devant des tout- petits, dans des écoles, des crèches, des théâtres, des festivals. Sur l’écoute des enfants, elle est tout aussi éblouie. Alice a créé et joué de nombreuses fois « Le chant de la tourterelle », l’histoire d’une petite fille de 4 ans qui reçoit le cadeau d’une tourterelle. Mais l’oiseau s’envole et la petite fille part à sa recherche.
« Les enfants sont captivés, ils ont une manière d’écouter très forte. Ils regardent avec de grands yeux mais tout leur corps est là, ils sont entièrement présents. »
les sistres, maracas, hochets, cubes, cabassas et castagnettes. » À vos gammes, prêts, jouez !
De la lecture :
Des musiciens et des bébés, Érès, 2010. La musique et l’enfant à l’hôpital, Érès, 2016.
Les enfants prennent tout ce qu’on leur donne, ils sont attentifs à l’énergie du comédien. Il faut donc être à la fois détendu et énergique.
« Il faut être dans la relation, explique Alice, vivre chaque moment, être là, dans le présent, heureux d’être là. »
Alice Waring est cette petite fille, elle est aussi le mouton, le poisson qui se présentent sur son chemin, elle joue de multiples instruments de musique – la flûte irlandaise pour le train qui fonce, la clarinette bambou pour la berceuse – elle chante, elle fait danser ses mains qui deviennent un oiseau ou un papillon.
Elle est de plain pieds avec les enfants qui la regardent et l’écoutent et perçoivent ses émotions et l’énergie qu’elle dégage.
Les enfants captent tout, Alice leur donne tout : sa voix, ses mains, son sourire !
Les gestes, dit-elle, peuvent être très poétiques, les mains dansent pour devenir oiseau. Le corps entier peut être vecteur d’histoire, devenir feu ou musique.
Il faut donc jouer avec sincérité, être présent et heureux de l’être, chanter en y croyant, bref être un grand artiste, pour emporter l’attention extraordinaire des tout-petits et leur procurer du plaisir et de la joie.
Le prochain spectacle et album réunit un quintet familial : père, fille, gendre, nièce et mari. Sortie en septembre « Steve Waring, 50 ans de scène »